Dans de nombreux pays, le chat est aujourd’hui l’animal de compagnie favori. Il est la star incontestée des réseaux sociaux et son confort de vie est au centre de toutes les attentions. Mais son histoire n’a pas été de tout repos, et « cette œuvre d’Art qu’est le chat », comme le disait Léonard de Vinci, fut tour à tour désignée comme ange et démon. Voici l’Histoire de notre prodigieux ami à quatre pattes.
Ce sont les ancêtres les plus proches de nos chats tels que nous les connaissons. Il y a quarante millions d’années, les premiers félidés étaient présents sur tous les continents. Cette grande famille comprenait les felis, ces petits félins qui furent à l’origine du chat domestique. Il fallut une longue évolution de 20 millions d’années pour qu’ils développent une puissante et souple musculature, des dents et une mâchoire adaptée pour déchirer les chairs, des griffes effilées et rétractiles, et une vision aussi performante diurne que nocturne. Au Pléistocène, il y a 1,8 million d’années, la chronologie se fait plus lisible et le Felis sylvestris va évoluer pour donner le chat sauvage d’Europe, alors que le Felis sylvestris lybica va se répandre en Afrique, en Asie et en Europe méridionale. Une troisième branche, le Felis sylvestris ornata sera représenté en Inde, en Iran et au Pakistan. Assurément, c’est d’une de ces familles que votre Mistigri descend.
Les spécialistes ont élaboré une théorie sur la domestication du chat, et au regard des différentes informations, il semblerait qu’il y ait eu plusieurs foyers d’apprivoisement, le chat européen n’ayant pas rencontré ses cousins avant l’ère moderne. Quoi qu’il en soit, il est unanimement reconnu que les premiers chats ne furent pas des proies pour les hommes sitôt que ceux-ci comprirent qu’ils présentaient un avantage certain pour chasser les souris et préserver les grains. Le terme de domestication n’est pas vraiment adapté au chat, même si celui-ci a beaucoup changé du fait de sa proximité avec l’être humain. Il demeure malgré tout très différent des autres animaux domestiques car il peut tout à fait survivre sans l’homme. Il est donc plutôt reconnu comme un animal semi-domestiqué.
C’est Hérodote, le célèbre historien de l’Antiquité, qui, dans ses écrits, indique que le chat égyptien est arrivé d’Éthiopie après la conquête du pays. L’étude des momies de chats retrouvées dans les nécropoles nous indique qu’il y avait trois espèces distinctes, le Felis silvestris libyca, le Felis chaus et le Felis serva qui venaient de Nubie. Ils avaient tous les trois des tailles et des pelages différents.
Les Égyptiens ont voué un véritable culte au chat, et, pour ce faire, ils imaginèrent une déesse, fille de Rê, Bastet, qui fut la protectrice du foyer, des femmes enceintes et des enfants, mais aussi la garante de la bonne santé de la famille et un rempart infranchissable contre le mauvais œil. Protectrice des récoltes, on retrouve là le chat dans un rôle bien connu. Dans le calendrier égyptien, la fête de Bastet était un événement majeur, et tout le pays accourait au temple de Bubastis afin de célébrer dignement cette déesse majeure. Les nombreuses momies de chats rappellent ces cérémonies qui avaient pour but d’adresser les messages des vivants aux défunts dans l’au-delà. Tantôt séductrice, musicienne et joyeuse, elle pouvait aussi, sous les traits de Sekhmet, se transformer en guerrière intrépide très colérique. Elle était alors représentée en lionne. Elle révélait ainsi ses deux visages, mélange de douceur et de cruauté. Les temples avaient toujours de nombreux chats et il était commun d’y acheter des amulettes à tête de chats afin de sécuriser les enfants. Le chat était aussi protégé par des lois très strictes et quiconque en tuait un, hormis les prêtres des temples, était aussitôt mis à mort. Cette loi permit d’ailleurs à Cambyse, le roi perse, de prendre la ville de Péluse en 525 avant J-C. Lors de l’attaque de la ville, il avait mis de nombreux chats en première ligne et ses soldats qui les portaient en guise de boucliers ne furent pas inquiétés par les Égyptiens qui eurent peur de blesser les animaux. L’exportation des chats hors des frontières du pays était interdite, et il fallut attendre la conquête d’Alexandre le Grand pour que le chat égyptien commence à voyager vers l’Europe méridionale, à Chypre, en Grèce et en Italie. Le chat perdit de ce fait, son aura, sa réputation et ses pouvoirs mystiques, qui furent jugés comme des pratiques arriérées par le peuple conquérant.
Le chat, infatigable voyageur, a suivi les routes de la soie, et il arrive ainsi en Chine où ses talents de chasseur furent très appréciés. Les cocons à soie étant la proie des rongeurs, le chat fit office de protecteur des cultures. La divinité nommée Li-Shou était représentée sous les traits d’un chat noir et blanc qui devait apporter le bonheur dans les foyers. Mais, avec beaucoup de logique, les Chinois estimaient qu’une maison bien tenue n’avait pas besoin d’un chat, aussi fut-il davantage apprécié comme animal de compagnie. En Inde, le chat est à nouveau déifié et il retrouve son rôle de protecteur des cultures et des enfants par ses grandes capacités de chasseur. Il fut aussi très apprécié pour défendre les premiers livres bouddhistes des assauts des rongeurs, et c’est ainsi qu’il serait arrivé au Japon, par bateau, avec pour mission de ne pas laisser les rats manger les divins enseignements. Il devient alors l’animal de compagnie des moines bouddhistes japonais. On vit apparaître de nombreux contes et légendes sur ce mystérieux animal. Sur les bateaux nippons, il aurait la capacité de calmer les tempêtes, et sous sa forme maléfique appelée Bakeneko, il se paraît de pouvoirs magiques. Sa féline beauté, sa noblesse et sa propreté conquirent aussi le cœur des empereurs et des nobles. Dès lors, il aura, au Pays du Soleil Levant, une belle réputation de protecteur et de porte-bonheur.
Arrivé dans les bagages des troupes romaines conquérantes, le chat de lignée égyptienne rencontre le chat sauvage européen. Les métissages qui s’en suivent le transforment encore physiquement. Victime de son succès, le chat est le parfait compagnon des masures du Moyen Âge. Il est tour à tour le protecteur des récoltes et de la salubrité des maisons, mais aussi le rôti des plus pauvres lors des nombreuses famines de l’époque. Il va aussi servir de fourrure pour les démunis. Il est un personnage récurrent des chansons de geste et des fabliaux que les troubadours colportent à travers les royaumes. Il amuse et étonne. Les monastères catholiques les adoptent volontiers, et les moines appréciaient, certes ses dons de chasseur, mais aussi son esthétisme et son affection.
La peste noire est la maladie qui ravagea l’Europe de 1346 à 1353. Elle était transmise à l’homme par les puces des rats, et les chats eurent un grand rôle à jouer lors de ces épidémies. L’homme s’aperçut alors de son inégalable qualité de tueur de rongeurs et le chat devint alors l’emblème du courage et de la combativité. On vit alors apparaître son dessin sur les armoiries des familles nobles et, pour le remercier, des lois furent édictées afin d’offrir protection à l’animal. En Irlande, la possession d’un chat était chose sérieuse et l’on ne pouvait pas en faire n’importe quoi, sous peine d’amende, une telle législation avait aussi cours en Espagne et au Pays de Galles.
Mais cela ne devait pas durer et un long hiver allait refroidir les échanges entre les humains religieux et les chats. Lorsque la terrible période de l’inquisition arriva, le chat fut le parfait bouc émissaire. Ses yeux malins, son feulement maléfique et sa démarche chaloupée en firent un digne suppôt de Satan, selon l’Église catholique et l’Église protestante, ennemies jurées qui partagèrent tout de même leur aversion féline. Et même son rôle reconnu de protecteur de la santé publique ne put rien contre ce véritable raz-de-marée de haine et d’obscurantisme. Il fut accusé de tous les maux, et ce véritable tabernacle des sept péchés capitaux n’avait d’autre avenir que d’être détruit par le feu purificateur. Ce fut une bien sombre époque pour le sauveteur de jadis et nulle loi ne fut dressée contre la volonté papale. Il faut également voir dans cet effort de destruction massive, un dessein plus obscur, celui de ligoter encore plus étroitement la femme, car il était bien connu que, si les chats étaient les démons, les sorcières étaient ses maîtresses, les femmes et les chats partageant le même espace près du foyer. Cela réglait aussi définitivement un autre problème : les cultes païens des déesses-mères devaient totalement disparaître. Place à la Vierge ou à la pécheresse indigne.
Au XVe siècle, le chat était donc devenu l’ennemi à abattre, mais c’était sans compter sa souplesse légendaire qui allait lui permettre de retomber sur ses pattes durant les siècles suivants…
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